Nous avons eu l’honneur d’interviewer Globe-trottine, de son vrai nom Emilie, une Française originaire de Poitiers ayant vécu à Londres, Paris et Manille. Emilie raconte ses aventures de voyage sur son blog Globe-trottine et nous a livré ses réflexions sur le voyage féminin en solo.

Pouvez-vous me parler un peu de vous ? quand avez-vous commencé à voyager seule ? Pourquoi ? Quelle est votre situation aujourd’hui ?

J’ai commencé à voyager seule il y a une dizaine d’année : je vivais et travaillais alors à Manille, aux Philippines (j’y ai vécu pendant quatre mois). Arrivant à la fin de son séjour sans avoir eu réellement le temps de visiter, et puisqu’aucune connaissance n’était disponible, j’ai décidé à la dernière minute de partir visiter l’île que je voulais, même si j’avais peur de partir toute seule. Comme dans les films, j’ai rempli mon sac à dos le matin même et j’ai pris le premier avion ! Ça s’est super bien passé et j’ai réalisé que je pouvais très bien voyager toute seule, même pour un weekend !
Aujourd’hui je ne voyage que pour le plaisir, pas du tout pour mon travail.

Parmi les pays que vous avez visités, lequel est votre préféré ?

J’ai eu un énorme coup de cœur pour les Philippines, pour les paysages paradisiaques à couper le souffle, mais surtout pour les gens. Les Philippins sont des gens d’une gentillesse extraordinaire. Il y a un accueil des étrangers, de l’autre, qui est incroyable. Même parmi les populations plus pauvres, qui vivent dans des bidonvilles, les gens sont quand même accueillants et souriants.
Mon deuxième coup de cœur : les îles britanniques depuis que je suis petite. Ce n’est pas aussi loin, ce n’est pas aussi exotique mais c’est un pays qui me touche depuis mon adolescence et dans lequel je me suis toujours sentie bien, à chacun de mes voyages. J’y vais au moins une fois par an. On ne pense pas souvent à aller en Grande-Bretagne pour des vacances, il pleut, et il y a vraiment une grande ville, c’est Londres, mais tout le pays mérite d’être vu, il y a des coins absolument superbes. En espérant que le Brexit n’empêche désormais pas d’y aller !

Quel pays ou voyage vous a surpris ?

La Laponie : je suis partie dans le nord de la Finlande, où j’étais pendant trois jours, je m’attendais à voir de belles étendues enneigées mais pas du tout à ce sentiment de liberté que j’ai ressenti là-bas. J’ai eu l’impression d’être libre comme je ne l’avais jamais été, j’avais envie de crier au milieu de nulle part -et cela n’aurait dérangé personne autour puisque j’étais juste entourée de neige ! Cette sensation d’être au milieu de nulle part, à l’autre bout du monde, et de m’y sentir bien, comme dans un petit cocon, était incroyable.  

Qu'est-ce que voyager seule vous apporte ?

Je voyage à moitié seule et à moitié avec des copines. En fait je me suis récemment rendu compte qu’en voyageant avec un homme, je me mettais des barrières sans m’en rendre compte. Lorsque je voyage avec un homme (un copain ou un boyfriend), j’ai tendance à me laisser guider, à le laisser conduire, décider d’où on va s’arrêter et à minimiser ce que je veux. Du coup, parce que je me sens moins libre, chaque fois que je rentre de voyage avec un homme, j’ai l’impression d’avoir raté quelque chose, de pas avoir fait tout ce que je voulais parce que je n’ai pas osé dire ou vraiment profiter comme je le voulais. C’est complètement idiot ! C’est tellement dommage qu’encore aujourd’hui on ait encore cette vue d’esprit, qu’avec un homme c’est lui qui décide, lui qui est responsable et lu qui va résoudre les problèmes potentiels. Alors qu’avec une copine, beaucoup moins, je me sens plus à égalité. J’ai moins de scrupule ou d’hésitations à faire des compromis ou à faire des choses chacun de son côté avec une copine qu’avec un homme. Cet espère de conditionnement inconscient est vraiment très bizarre, surtout que je ne suis pas particulièrement en retrait dans ma vie quotidienne ! Peut-être que les jeunes filles de vingt ans actuelles le ressentent beaucoup moins, et ont plus conscience de cela avec les mouvements féministes de ces dernières années ?

Est-ce que voyager a changé votre perception de vous-même ?

Oui carrément ! Je suis quelqu’un de plutôt peureuse, je suis un peu casanière. Souvent dans mon entourage quand je dis que je pars seule, cela perturbe encore beaucoup de gens, on me demande comment je fais ou si je ne me sens pas seule. Déjà, je ne suis pas téméraire. Je ne risque pas plus de me faire renverser en voiture dans la rue en Suède ou au Canada qu’à Poitiers ou à Paris ! En voyageant en Occident, je ne prends pas de risques particulier, je ne suis pas partie faire des treks extrêmes ou explorer l’Amazonie ! Ensuite, je ne m’ennuie pas, on rencontre plein de gens en voyage. En réalité je ne me comporte pas de la même manière quand je voyage que dans mon quotidien quand je suis chez moi. Je suis beaucoup plus ouverte et je fais beaucoup plus confiance aux gens.

On a tellement envie de rencontrer des gens que c’est peut-être pour ça qu’on se méfie moins, on a envie de les connaître. C’est peut-être naïf, mais ce sont des choses qu’on sent, on ne fait pas non plus confiance à n’importe qui. Alors que chez nous, si quelqu’un m’interpelle je ne vais pas m’arrêter prendre le temps de discuter, je vais plus me demander ce que me veut la personne. Finalement on rencontre plus facilement des gens à l’étranger !

Avez-vous une expérience ou une rencontre qui a changé votre manière de vous percevoir ou de percevoir les autres, ou même le fait de voyager seule ?

C’est à travers plein de rencontres et petites expériences. Pour moi c’est toujours un petit peu un challenge de partir, mais moins maintenant parce que j’ai plus l’habitude et j’ai forgé ma carapace. Quand je pars seule j’ai toujours un peu plus d’appréhension que quand je suis accompagnée, je me demande si je vais rencontrer des gens, s’ils seront sympas etc. Et oui, à chaque fois, les gens vous voient, ils vous sourient, ils viennent vous parler, et quand vous êtes en galère, comme ça m’est arrivé en Ecosse, les gens viennent t’aider. Là-bas, je ne pense pas avoir marché plus de dix minutes seule au bord d’une route sans que quelqu’un ne me propose de m’aider et de me déposer quelque part, même si ce n’était pas du tout sur leur trajet ! C’est tout ça qui fait qu’on se dit qu’on peut faire confiance aux gens, que si j’ai un problème il y aura toujours quelqu’un pour m’aider, qui va me tendre la main.

Que diriez-vous aux personnes qui considèrent que voyager seule quand on est une femme est dangereux ?

Il n’y a pas plus de risques qu’il nous arrive quelque chose dans les rues de Cracovie ou d’Ecosse qu’à Paris. Il faut évidemment avoir du bon sens, et ne pas s’aventurer dans des endroits dans lesquels on ne s’aventurerait pas dans notre quotidien et se fier à son instinct. Et si on a le moindre doute, on évite. Il peut nous arriver des galères, quel que soit le pays, qu’on soit seule ou non, mais je pense qu’il y aura toujours quelqu’un pour nous aider. Il faut faire attention au pays dans lequel on veut aller, prêter attention aux signes : il y a des pays où, voyager seule en tant que femme, ce n’est pas recommandé, ou pas aussi conseillé que d’autres pays. On se prépare, on ne va pas sur place sans avoir aucune idée où on met les pieds !

Comment pourrait-on changer cette idée que les femmes devraient être accompagnées quand elles voyagent ?

Je pense que ce sont surtout les femmes qu’il faut convaincre, et pas forcément les hommes. Je le disais tout à l’heure, quand je voyage avec un homme, je me mets de moi-même certaines barrières et je me dis que c’est aussi surtout dans nos têtes. On peut essayer de nous décourager et nous dire que c’est trop dangereux, qu’on ne devrait pas partir, mais au final, cela reste notre décision. Il ne faut pas se laisser polluer par les avis extérieurs, sinon on finit par ne pas s’autoriser à faire certaines choses, ou on se limite nous-mêmes. On fait le choix d’écouter notre entourage et on reste dans notre petite coquille en se disant qu’on n’en est pas capable, ou on voit les autres femmes autour de nous qui l’ont fait et on réalise qu’on en est parfaitement capable. Même celles qui ont peur, même celles qui ne s’en sentent pas capables. Il n’y a pas besoin de partir à l’autre bout du monde pour s’en sentir capable et se sentir libre, même partir trois jours dans une autre ville ou un pays à côté permet de réaliser que oui, on peut voyager seule, on est capable de se débrouiller et de s’en sortir très bien ! C’est un travail de fond, de mentalité, par les femmes et pour elles-mêmes.

Votre pire expérience de voyage ? Comment l'avez-vous gérée ? Cela a-t-il eu un impact sur vous ou votre vie ?

Je suis partie un weekend dans les montagnes aux Philippines pendant les moussons, et les pluies torrentielles ont créé des glissements de terrain. Je me suis retrouvée dans un hameau au milieu de nulle part, la route était littéralement coupée et enterrée sous les rochers, et je devais redescendre dans la vallée pour prendre un bus et rentrer pour aller travailler le lendemain. Mais il y a toujours eu un local qui est venu m’aider ! Alors qu’on ne pouvait pas communiquer ensemble, je ne parlais ni leur langue ni eux la mienne ! On m’a accueillie dans une maison, les occupants sont partis chercher les voisins qui avaient une moto, qui m’a emmené plus loin jusqu’à ce qu’on soit bloqué par un nouveau glissement de terrain, quelqu’un d’autre est venu aider en camion et m’a déposé encore plus loin etc. Chaque fois quelqu’un m’a aidé à faire un bout de chemin, à aller plus loin, et j’ai pu récupérer mon bus à temps. On peut être perdu, on peut être en galère, mais il y a toujours quelqu’un pour aider. Ca redonne fois en l’humanité. Après cela ne m’a pas « traumatisé », il ne m’est rien arrivé de grave, cela n’a pas vraiment changé m’a vision des choses comme le fait de me faire voler mon sac qui m’aurait rendu plus méfiante.

Quels conseils donneriez-vous à des femmes qui hésitent à voyager seules ?

Moi qui suis hyper trouillarde, ce qui me rassure c’est d’organiser les choses, en laissant une place à l’imprévu bien sûr. Je prépare le terrain : je sais où j’atterris, où est situé mon hébergement, quel bus ou moyen de transport utiliser pour m’y rendre et de manière générale, j’essaye de me familiariser avec le plan de la ville et d’avoir des points de repère. Evidemment il y a toujours des ratés, on découvre des grandes côtes là où on ne l’avait pas prévu ! Mais cela me fait gagner du temps et me permet de me sentir plus à l’aise quand j’arrive. Je sais où je mets les pieds, et j’évite des galères potentielles sur place. Se projeter et planifier aide à prendre la décision d’aller quelque part je trouve.

Votre meilleure expérience de voyage ?

Il y en a plein ! C’est pour ça qu’on voyage et qu’on y retourne, qu’on a envie de voyager ! Un en particulier : l’année dernière je suis partie dans les Arcades, des îles au nord de l’Ecosse, que l’on rejoint en ferry. J’y ai rencontré une femme avec qui j’ai sympathisé pendant toute la traversée, qui m’a spontanément proposé que son mari et elle me dépose directement à mon logement plutôt que de me laisser prendre la navette. Après cela on s’est revu pendant toute la semaine, au pub ou chez moi plusieurs fois. Et au moment où je devais repartir, même chose, ils ont absolument insisté pour me redéposer au ferry, malgré le fait qu’ils avaient une soirée de prévue ! Depuis nous avons gardé contact, nous nous envoyons des cadeaux à Noël, ils prévoyaient de venir ici… Ce ne sont pas toujours les choses les plus évidentes ou spectaculaires qui font un voyage, mais aussi les rencontres comme celles-là ! Même pas une journée sur place et je m’étais fait des amis !

Un dernier message pour les femmes qui souhaitent voyager seules ?

Osez le faire, je suis l’exemple parfait ! Même en ayant la trouille, toutes les femmes peuvent voyager seules ! On n’a pas besoin de partir à l’autre bout du monde pour se prouver qu’on peut le faire. Même si on ne part pas loin et seulement pour trois jours, partez où vous voulez, pour le temps que vous voulez. Il y a une liberté, qu’on ne trouvera jamais en voyageant avec d’autres personnes. Voyager seule, c’est ressentir une liberté incroyable et se sentir pousser des ailes, quand on réalise qu’on est capable de le faire.

Pour découvrir tous les voyages d’Emilie, voici son blog  et son Instagram